Hang, jeune vietnamienne qui travaille comme ouvrière en Russie, est appelée au chevet de son oncle à Moscou. Dans le train, les souvenirs déferlent et elle va reconstituer l’histoire de sa famille à deux moments forts du Viet Nam : la Réforme Agraire et la Rectification des Erreurs, deux périodes où la terreur, la surveillance et la délation sont la règle. C’est d’abord le parti qui exige une séparation totale entre les classes. « Nous devons abattre les propriétaires fonciers, oppresseurs retors, cruels, pour rendre la terre aux paysans. » La famille de Hang va subir cette loi tyrannique car ses parents ont le malheur d’appartenir à deux mondes jugés antagonistes par les communistes. Sa mère est d’une famille de paysans, son père fait partie des petits propriétaires terriens. L’oncle Chinh, le frère de sa mère et chef de la section de la Réforme Agraire, ne peut accepter une telle union. Il est à l’origine du départ du père et de la ruine de la famille. Cadre chargé de l’éducation idéologique de la population, il intervient sans arrêt dans la vie de sa sœur pour lui dire comment elle doit gérer son existence. Hang assiste impuissante à la vie misérable de sa mère, prête à tous les sacrifices pour ce frère qui ne cesse de l’humilier et de l’exploiter. La vie de cette femme est à l’image de sa silhouette ployée sous la palanche pour aller vendre quelques produits au marché.
Duong Thu Huong connaît très bien cette société qu’elle décrit et dans laquelle elle a vécu et souffert. Il s’agit d’une société rigoureusement structurée où même les groupes d’enfants fonctionnent avec, à leur tête, un chef tout puissant, où la suspicion est collective, où « tout le monde doit se couler dans le moule », construire les mêmes maisons, porter les mêmes vêtements et se nourrir des mêmes aliments.
Elle a dû rencontrer des êtres odieux comme les deux piliers de la Réforme Agraire qui sèment la terreur dans son livre : Bich, le jeune ivrogne opportuniste qui mène une vie de luxure et Nan, une veuve qui a ruiné sa famille par sa gourmandise. Une figure se détache dans ce monde de forfaiture et de répression, c’est la tante Tâm, sœur du père de Hang et que celle-ci admire. Expropriée lors de la Réforme Agraire, cette femme fière, courageuse et généreuse travaille durement pour se réapproprier son bien confisqué et retrouver sa dignité. C’est elle qui sauve Quê, la sœur de Chinh quand la nouvelle section de Rectification des Erreurs veut la châtier pour se venger des méfaits de son frère. C’est elle encore qui prend soin de Hang, lui finance ses études et lui sert de modèle pour son avenir qu’elle voit plus lumineux, loin de ces soi-disant paradis qui rendent les gens aveugles.
Mais, l’auteur nous donne aussi une vision plus douce de son pays, celle où les travaux des champs sont réalisés dans la joie et la bonne humeur au rythme du changement des saisons et de la nature, celle de l’amour du travail bien fait par des paysans qui prennent soin de leur terre et de leur buffle. Tout cela se fait dans un paysage enchanteur où les jeunes pousses teintent d’un vert tendre les rizières nourricières, au milieu de ces arbres évocateurs d’exotisme : les caramboliers, les goyaviers, les sycomores. Duong Thu Huong donne vie au monde qu’elle décrit en faisant appel à tous nos sens : on entend le cri des cochons égorgés, on respire les odeurs d’anis et de gingembre et on a l’eau à la bouche devant les étals des marchands ambulants qui exposent des gâteaux de riz gluant, des soupes de crabes, des épis de maïs grillés ou le pho, le plat national tant prisé.